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Avis sur le livre : Journée d'un opritchnik, de Vladimir Sorokine

Moscou 2028. Tous les matins, l'opritchnik Komiaga se réveille au son d'un coup de fouet suivi d'un cri, et d'un deuxième coup suivi, lui, d'un gémissement. C'est la sonnerie de son téléphone portable, enregistrée dans l'une des salles de tortures du quartier général de l'Opritchnina, la terrible police secrète du souverain absolu qui gouverne la Russie dans le futur proche de Vladimir Sorokine.

Le reste de la journée sera rythmé par des rituels très précis, mêlant violence et prières, enquêtes et orgies, corruptions et machinations politiques, menées tambour battant à bord d'une automobile décorée d'une tête de chien fraîchement coupée, pour le compte d'un souverain omnipotent que les technologies de surveillance électroniques ultra-sophistiquées rende omniprésent. Journée d'un opritchnik, le nouveau roman du très controversé Vladimir Sorokine, serait donc une satire ?

Le totalitarisme à découvert

Certainement, mais l'écrivain russe engagé ne s'arrête pas là. En effet, l'Opritchnina a réellement existé. Fondée en 1565, autant dire au temps de la "grande" et très sainte Russie, cette milice servit longtemps à Ivan le Terrible et à son fils pour satisfaire leurs besoins sanguinaires, éliminer leurs opposants et asservir le peuple. Une police, et surtout, une force de répression, "qui fascine encore aujourd'hui les tenants nostalgiques d'une certaine Russie blanche et orthodoxe", apprend-on au début du livre.

En projetant la renaissance de cette sinistre administration, petite fille du NKVD et du KGB, dans un état totalitaire d'anticipation, Vladimir Sorokine dresse donc le portrait "futuriste" d'une Russie qui a effectué un grand retour en arrière dans le temps. Acculée par une histoire toujours plus pesante, une corruption inique et une misère intellectuelle et morale toujours plus grande, Sorokine imagine une Russie totalitaire qui ne ferait plus ses coups en douce, comme c'est le cas aujourd'hui, mais ouvertement, en prônant un retour à la religion (orthodoxe) et à la morale la plus sévère.

Ceci n'est pas de la (science-) fiction

Morale évidemment hypocrite (les grossièretés dans le spectacle comme dans la rue sont interdites, la religion est l'adjoint du pouvoir, le patriotisme est obligatoire, les étrangers refoulés, etc) que seul le peuple doit respecter. Les plus hautes castes, elles, sont totalement libres de leurs faits et gestes. Quant à l'Opritchnina, elle a simplement tous les droits. Car sous couvert de protection des valeurs de la (très) "sainte" Russie, les Opritchnik participent en fait à l'élimination physique (et souvent publique) des opposants au régime, à la dispersion de leur famille et de leur bien, au kidnapping de leurs enfants, quand ils ne se livrent pas au viol, à la torture et à la corruption, sous couvert de propagande populiste et de reconquête des idéaux d'une "grande Russie" idéalisée plutôt qu'historique.

De science-fiction, il ne s'agit donc point évidemment. En écrivain politique qu'il est, Sorokine vise directement le pouvoir actuel, la dynastie de nouveaux Tsars sanguinaires installés par Vladimir Poutine et la direction que prend la Russie que nous connaissons. A ce titre, l'auteur décrit un pouvoir qui s'est simplement contenté de troquer la Faucille et le Marteau, contre l'Aigle à deux Têtes et le Goupillon. Pour l'auteur, cette Russie nationaliste si fière d'elle, se voit renvoyée au temps des seigneurs, et même, à la fondation médiéval du pays. Un futur où les russes retombent dans un servage profond et où règnent terreur et superstition. De fait, l'avenir de Sorokine s'apparente plus que jamais à un brutal retour en arrière, dont on se demande si ce n'est pas le chemin que prend la Russie actuelle.

 

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