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Avis sur : La Course à l’Abîme , de Dominique Fernandez

Plaire ou déplaire est finalement un exercice moins périlleux qu’il n’y parait, en littérature du moins. Il suffit de quelques éléments bien placés pour attirer le lecteur ou le dégoûter de la même manière ; Au fond, il n’y a peut-être rien de plus personnel que l’acte d’écriture.

Ais-je dis personnel ? Toutes mes excuses. Disons, « subjectif ».

Je me suis plongée dans cette Course à l’Abîme avec un engouement totalement surfait, subjectif, et assumé. De la couverture à la dernière page, mordant jusqu’à la table des matières, j’ai prolongé le plaisir de ce roman terriblement imagé que l’ouvrage de Dominique Fernandez, et ce pour une seule raison. Une seule raison, un seul mot – Un seul nom, plutôt : Caravaggio.

Les sonorités brutales de ce pseudonyme pris au 17ème siècle par un des plus terribles peintres italiens, Michelangelo Merisi, se retrouvent à chaque page de ce roman étrange, recherché, travaillé à l’extrême et maniéré jusque dans la brutalité. Le récit d’une vie dont on connait finalement très peu de choses : Des tableaux, quelques notes, un statut de peintre de l’Eglise, des condamnations sans appel et la postérité pour son clair-obscur.

Dominique Fernandez a pris un parti, un seul, pour écrire ce roman d’une vie : Décrire les pensées profondes d’un artiste mystérieux sur deux thèmes seulement : Sa vie personnelle, souvent sexuelle, et son œuvre face à la censure de son époque.

S’il est étrange que l’on puisse imaginer parler de la vie d’une personne, et notamment d’un artiste, seulement par ces deux biais, n’imaginez pas vous plonger dans un ouvrage épais peinant sur un chemin unique : Il y a bien assez de ces deux aspects pour remplir les quelques centaines de pages de cette Course à l’Abîme.

D’aventures amoureuses en sexualité débridée, de peinture avide en censure religieuse, on suit un Caravage déchaîné aux temps des grands papes de Rome et de la lutte entre le parti français et le parti espagnol, des régions lombardes à Malte. Partout se retrouvent cette homosexualité vantée - Et parfois exposée avec un plaisir trop évident et beaucoup de complaisance, même si la personnalité de l’auteur peut l’expliquer assez facilement – et les pulsions destructrices d’un autodidacte de génie, dont le fil conducteur reste ce titre évocateur dont on ne se détache jamais vraiment : Il court, vers sa chute, la souhaite, la redoute, et la met en scène.



De là à dire que ce roman révèle toute une facette de la personnalité du Caravage sous l’angle des possibles, non – Ce serait mensonger. Mais si l’on peut attribuer quelques mérites à l’auteur, c’est non seulement d’avoir une plume très souple pour ce genre d’exercice, qui demande une dextérité intéressante pour arriver à décrire les nuances d’une pensée intime et d’une personnalité tourmentée, mais aussi de jouer avec les tableaux du Caravaggio comme avec un puzzle, emboîtant une idée dans un pinceau et un sentiment dans une pièce.

Dominique Fernandez réussit dans cette Course à l’Abîme à freiner ses envies de choquer et son goût pour l’autodestruction pour nous entrainer dans quelques balades romaines qui valent le détour, pour tous les amateurs de la Ville Eternelle. Mieux, il sait parfois mettre de côté son envie de rendre le Caravage trop personnel pour mettre en scène, avec un decorum parfois pompeux mais qui s’oublie vite, quelques dialogues savoureux et rencontres inédites pour mieux scruter et observer l’effet des œuvres de Michelangelo Merisi sur son époque. Des ecclésiastiques peu regardants aux amateurs d’Art en passant par les grands personnages de l’Inquisition, les explications de ses contemporains apportent un éclairage tantôt précis tantôt coquasse sur une œuvre qui a fasciné et fascine encore des générations de peintres et d’amateurs d’art.

Les quelques maladresses de Dominique Fernandez, petites coquilles nées sans doute d’une envie de trop bien faire, s’estompent rapidement lorsque ce personnage décalé et dissident du Caravaggio s’amuse à nous entraîner dans les bas-fonds de Rome et de son existence ; La Course à l’Abîme est un livre qui ne se prend finalement pas vraiment au sérieux, mais qui apporte un éclairage intéressant, comme tout écrit né de la fiction et de la vérité historique, sur la vie d’un aventurier qui doit encore bien en rire.

A lire donc, notamment si vous aimez comme moi cette culture romaine entre la fange d’une misère noire et les pourpres des puissants, et surtout si vous flottez toujours avec autant d’admiration devant les cruelles toiles du Caravage…

 La Course à l’Abîme , de Dominique Fernandez, livre de poche, 2002

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