Vous commencez à me connaître: je n'y vais pas avec le dos de la cuillère dans mes chroniques. Quand j'aime : j'adore; quand ça me plaît pas : c'est nul à chier. On va pas s'emmerder avec les étiquettes et les peut-être.
Alors là, ouvrez grand le tiroir chef d'oeuvre. Je vous ai confié il y a peu être en pleine cure d'uchronie. En la matière, Greg Keyes, lui non plus, n'y va pas avec le dos de la cuillère ni des boutons de manchettes et l'auteur de dynamiter toute l'Histoire du XVIIème siècle européen.
L'âge de déraison, pavé découpé en quatre tomes, est un Tétris de magie, d'alchimie, d'Apocalypse, de têtes couronnées. On y suit Louis XIV mais surtout le binôme Benjamin Franklin, en mode jeune aventurier, et Isaac Newton, en savant mystique et mystérieux. Quelle aventure passionnante! Keyes, en bon alchimiste, réussit le périlleux et savant mélange de l'uchronie, à savoir ne pas verser dans l'érudition gratuite et l'explication de texte historico-historicienne. Keyes, qui s'est fait la plume à l'école de l'héroic-fantasy, arbore ici les sentiers de la SF immergé dans un cadre historique précis tout en gardant la dimension magique et mystique de la fantasy pure. On nage en plein bonheur tellement ce mélange à du gôut et de la saveur au fur et à mesure de la lecture. Lorsque le chaos guette et que les mondes s'effrondent, on a l'impression de lire du Alan Moore. Les gentlemen extraordinaires au siècle d'or français.
Keyes joue sur les vieilles peurs des hommes et ne choisit pas son cadre et ses personnages au hasard: en optant pour des inventeurs, des découvreurs ou des visionnaires, Keyes place l'Homme au coeur d'un système instable qu'il ne maîtrise pas mais qu'il tente de dompter. Telle est la science périlleuse des alchimistes. Lorsque les certitudes s'effrondent, que reste-t'il? Quelle direction prendre? C'est avec un rare plaisir que Keyes vous prendra par la main pour vous dire au creux de l'oreille: n'importe où. Invitation ultime au voyage, l'uchronie de Keyes n'est pas réservée exclusivement aux érudits et amateurs d'Histoire, même s'il va de soi qu'on prend plus de plaisir à lire ce genre de romans avec un certain bagage culturel, nécessaire pour cerner les références, les différences, les clins d'oeil. Donc cet été: achetez un ou deux Que sais-je? puis lecture de L'âge de déraison.