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LE ROMAN DE LA LUNE

« On n’est pas allé dans la lune en l’admirant. Sinon, il y a des millénaires qu’on y serait déjà. » Lorsqu’il formulait cet aphorisme dans son recueil Poteaux d’angles, Henri Michaux n’évoquait que la prouesse technologique des astronautes de la missions Apollon XI, en ce jour mémorable de juillet 1969 où fut enfin foulé le sol du satellite terrestre.


Mais avant d’assister aux images historiques des manœuvres d’approche de la sonde, au pas de géant antigravitationnel de Neil Armstrong, au plantage de la bannière étoilée qu’on aurait dit de métal tant elle était raide dans cette atmosphère raréfiée, combien avaient rêvé de conquérir cet astre ? En bateau, à dos de volatile ou dans le sillage d’une escadrille d’oiseaux migrateurs, en ballon, à coups de fusée-obus tirée d’un immense canon ; depuis Lucien de Samosate, l’homme occidental entretient le fantasme d’atteindre les cratères et, qui sait ? les habitants de ce soleil nocturne.


Grâce au
Roman de la Lune des Éditions Omnibus, nous embrassons en huit cents pages l’essentiel de la littérature qui lui est consacrée. La sélection, principalement française, court de la Description des États et empires que tenta (l’authentique) Cyrano de Bergerac en 1657 à l’incontournable exploration de Jules Verne, premier « roman scientifique » à part entière. On ne pouvait toutefois faire l’impasse, dans un tel registre, sur quelques titres étrangers. Voilà pourquoi figurent au sommaire un classique de H.G. Wells ou encore L’Aventure sans pareille d’un certain Hans Pfall narrée par Edgar Allan Poe ou le plus contemporain terrienne de Mourlevat.


Dans sa préface, Claude Aziza propose quant à lui un regard érudit sur toutes les facettes (ou devrait-on dire les phases) de fascination qu’exerça la Lune sur les esprits : la religion, l’astronomie, le cinéma, la poésie même, rien n’a échappé à son recensement et montre que l’homme s’est toujours interrogé sur la nature de cette présence blanchâtre, tantôt disque, tantôt croissant, qui veillait sur son sommeil, ses encanaillements et ses songeries.


« Sélénites » pour Cyrano, « Lunatiques » selon Louis Desnoyers, « Luniens » chez Pierre Boulle, les peuples hypothétiques de notre lointaine sœur ne semblent créés que pour mieux renvoyer, à ceux qui viendraient à les débusquer, leur propre questionnement philosophique. Car, après l’avoir redoutée ou vénérée comme une déesse, « penser la Lune » relève d’une expérience existentielle qui fait vaciller les dimensions constitutives de notre appréhension du réel : le Temps et l’Espace, conjugués dans la Distance.

Quelle déconvenue dès lors si, au lieu de découvrir une vaste étendue vierge, les courageux voyageurs arrivant sur place n’étaient guère tombés que sur un globe fangeux et boueux, composé… de crotte ! C’est la situation qu’imagina Abel Beffroy de Reigny en 1787. Elle était d’un mauvais goût si incongru qu’il préféra la signer du prudent pseudonyme de « Cousin Jacques ».


Outre les œuvres intégrales, le volume comporte un dossier et des extraits choisis de très belle qualité. Pour preuve, le savoureux passage des
Entretiens sur la pluralité des mondes habités de Fontenelle. Au fil de ses considérations relativistes sous-tendues par une logique sans faille, le beau causeur admet l’idée d’une forme de vie sur la Lune, pas forcément humaine certes, mais qu’il serait possible de rencontrer, à condition de traverser « le grand espace d’air et de ciel » qui nous en sépare. Il compare d’ailleurs cette confrontation avec le Troisième Type à celle que vécurent les Indiens d’Amérique et les Espagnols au XVIe siècle.

 

LE ROMAN DE LA LUNE,
Éditions Omnibus, 840 p., 26 € (mai 2009)

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