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  • La Fabrique de souvenirs de Philippe Pollet-Villard

    fabrique-des-souvenirs.JPGC'est là, au Café du Havre, que j'ai commencé la lecture de La Fabrique de souvenirs de Philippe Pollet-Villard. Tout de suite je me suis retrouvée en équilibre, dans le mouvement de danse à demi esquissé que ce livre, comme le précédent, sait si bien faire épouser à son lecteur. Peut-être oserai-je même qualifier cette lecture de "somnambulique", tant les histoires du créateur de L'Homme qui marchait avec une balle dans la tête s'énoncent par la grâce d'une voix qui possède la lucidité aiguë des rêves éveillés.

    Par instants, je me laissais porter malgré le froid dans une lévitation en direction de la plage du Sillon. Dos dans la mer, visage levé, je regardais le ciel que décrit Pollet-Villard, je sentais ployer les arbres formés à la découpe de son style, je m'amusais aussi de sa tristesse enjouée si singulière parce que je ne pouvais guère faire autrement. Les lecteurs sont des animaux cruels. La Petite Catherine de Heilbronn, texte adoré de Kleist, trouve incidemment chez Philippe Pollet-Villard un rebond presque fortuit.


    La Fabrique de souvenirs est un très malicieux ouvrage, qui vous fera sans cesse vous retourner sur vos pas pour voir exactement qui vous suiviez dans votre lecture, parmi les brumes chuchotantes de vos souvenirs et le modèle familial que vous prête l'auteur. Miroir un peu accidenté, hors d'âge, digne des contes et légendes, tout ce qu'il y a de menteur et pourtant incroyablement juste malgré les écorchures, comme une note tenue par Amy. Sous des dehors sobres, pacifiés, ce qui s'y raconte, vous le vérifierez, est d'une force inouïe et brutale.
    Chacun, sans doute, y rencontrera ses fantômes, y fera face à ses peurs, y dansera ses vertiges.
    L'auteur n'est pas du tout raisonnable, il réussit son second livre avec autant de mystère que le premier.

  • Avis sur le livre : Un instant d'abandon de Philippe Besson

    besson-un-instant-abandon.JPGDes spécialistes avisés du marketing agro-alimentaire avaient conçu naguère un système de poulailler industriel dans lequel on réveillait les poules au milieu de la nuit, en leur fabriquant un faux jour, pour qu’elles pondent davantage. Ça marcha très bien pendant un temps : on augmenta la production des œufs grâce à ce jour artificiel, des petits œufs tout blancs et insipides avec une coquille fragile. Mais ça ne dura pas : perturbées dans leur rythme naturel, les pondeuses devinrent folles, se volèrent littéralement dans les plumes et firent la grève des œufs avant de mourir tristement, plumées, décharnées, insomniaques, anorexiques et stériles…


    La « rentrée littéraire », c’est un peu la même chose : on réveille les écrivains à date fixe et ça donne des petits œufs littéraires bien calibrés, à peu près insipides, par douzaines, par centaines, par milliers. J’exagère un peu, bien sûr, mais il y a tout de même de ça.


    Prenons l’exemple de Philippe Besson. Après un beau premier roman (En l’absence des hommes), puis quelques autres plus ou moins réussis (Son frère, L’arrière-saison, Un garçon d’Italie, Les jours fragiles), il a pris le rythme de cette saison artificielle et on s’inquiète de le voir s’adapter si bien à ce stakhanovisme de poulailler qui lui fait pondre un nouveau roman à chaque rentrée. L’œuf de l’année s’intitule Un instant d’abandon. Sous leur jolie petite jaquette illustrée, ces deux cents pages nous racontent laborieusement l’histoire pathétique d’un pauvre marin pêcheur anglais, faux père d’un enfant qu’il laisse se noyer et revenant, après cinq ans passés en prison, dans le village où il est indésirable. Faux réalisme, faux décor, personnages plus que minces, phrases courtes, intrigue simplette, bons sentiments : c’est ce qu’on peut appeler un livre raté à la lecture duquel on s’inquiète du devenir d’un écrivain qui avait su imposer une couleur, une tonalité bien à lui dans ses premiers livres.

    Ici, même la relation amoureuse avec Luke, le co-détenu qui a « de la beauté en grains sur les épaules » et qui viendra rejoindre Thomas, le narrateur, dans la dernière page (mais on l’avait deviné dès le début), est évoquée de façon tellement allusive et abstraite qu’elle en perd tout intérêt et toute crédibilité.

    Dommage !